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Le plafond horizontal : l’autre frontière invisible des femmes en seconde partie de carrière

On a beaucoup parlé du “plafond de verre”, cette limite invisible qui empêche tant de femmes d’accéder aux postes de direction. Mais il existe un autre obstacle, plus discret et tout aussi déterminant : le plafond horizontal.
C’est lui qui freine les femmes expérimentées lorsqu’elles veulent changer de rôle, bouger vers un autre service, élargir leur périmètre sans forcément gravir les échelons hiérarchiques. Autrement dit : progresser autrement que par la promotion verticale.

Des compétences disponibles… mais invisibles

Les femmes de plus de 45 ans n’ont pas moins d’envie, moins de force ou moins de talent que leurs homologues masculins. Elles ont souvent plus de diplômes, plus de polyvalence, et une expérience riche. Pourtant, comme le souligne l’Anact, les organisations ne valorisent pas toujours les tâches réellement effectuées ni les compétences acquises. Dans des métiers mixtes, les hommes et les femmes n’exercent pas les mêmes missions, et les femmes sont plus souvent cantonnées à des activités périphériques, moins visibles. Or c’est cette invisibilité qui bloque l’accès aux opportunités transverses.

Quand les biais prennent le pas sur la réalité

L’étude CORIF (2024) menée dans les Hauts-de-France est sans appel :

  • Les entreprises reconnaissent les femmes séniores comme des atouts — fiables, compétentes, expérimentées.
  • Mais elles les jugent moins “mobiles”, supposées moins adaptables aux nouvelles technologies, trop coûteuses à cause de leur ancienneté.
  • Résultat : seulement 14 % des entreprises interrogées disent avoir des actions spécifiques pour maintenir et développer l’emploi des femmes séniores.

Le paradoxe est frappant : la valeur est reconnue, mais les portes restent fermées.

Le temps partiel, levier d’exclusion silencieux

Toujours selon le CORIF, 31,5 % des femmes séniores travaillent à temps partiel, contre seulement 10,7 % des hommes. Après 60 ans, ce chiffre grimpe à 45 %. Or, dans la majorité des entreprises, les projets stratégiques, les missions transverses, les mobilités horizontales supposent une disponibilité “plein temps”. Sans le dire, ce critère exclut massivement les femmes séniores des mouvements internes.

Des politiques de diversité incomplètes

Comme le rappelle A Compétence Égale, beaucoup d’entreprises se concentrent sur la diversité au moment du recrutement, mais oublient d’appliquer ces principes à la mobilité interne. Les managers ne sont pas formés aux biais inconscients dans les décisions de mobilité, les critères restent opaques, et aucun indicateur précis ne suit les trajectoires féminines. C’est ainsi qu’un plafond horizontal s’installe, silencieux mais efficace.

Les transitions professionnelles : un défi collectif

Le rapport Relever collectivement le défi des transitions professionnelles (France Stratégie, 2023) montre que beaucoup d’actifs envisagent des évolutions de carrière, mais que tous n’ont pas les mêmes ressources pour les concrétiser. Les seniors en particulier se trouvent souvent en difficulté pour accéder aux dispositifs de transition, car ceux-ci sont peu visibles ou peu adaptés. Cela rejoint directement l’idée de plafond horizontal : même quand une femme expérimentée a la formation, l’envie, la motivation, l’opportunité de changer de poste au sein de son entreprise, elle bute sur les structures, les critères implicites ou l’absence d’accompagnement clair.

Et si on changeait de perspective ?

Il est temps de reconnaître que la mobilité horizontale est un levier stratégique, pas une variable d’ajustement. Elle prolonge les carrières, nourrit la transmission intergénérationnelle, stimule l’innovation par la transversalité.
Plutôt que de considérer les femmes de plus de 45 ans comme “immobiles”, donnons-leur des projets, des missions, des passerelles. Non pas par faveur, mais parce que leurs compétences constituent un actif stratégique.

L’OIT et l’OCDE rappellent que les inégalités femmes-hommes persistent dans l’accès aux métiers valorisés, aux formations, aux responsabilités. Tant que les organisations ne prendront pas en compte ces écarts dans leurs politiques de mobilité interne, elles continueront à perdre une ressource rare : l’expérience féminine en seconde partie de carrière.

Conclusion

Le plafond horizontal n’est pas une fatalité. Il n’est pas lié aux femmes elles-mêmes, mais à des pratiques d’organisation trop rigides, trop biaisées.
En lever les freins, c’est libérer une énergie professionnelle immense, au bénéfice des entreprises et de la société. Et c’est rappeler une évidence : les femmes en seconde partie de carrière ne sont pas un coût, elles sont une chance.

Sources

  • CORIF (2024). Les femmes séniores dans les entreprises des Hauts-de-France : Quels enjeux ? Quelles actions ?
  • France Stratégie (2023). Relever collectivement le défi des transitions professionnelles.
  • Anact (2012). Guide égalité professionnelle.
  • A Compétence Égale (2025). La diversité dans la mobilité interne.
  • OIT. Barriers for women in employment.
  • OCDE. Égalité des genres et travail.

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